réduire le nombre d’agences de l’Etat, comme le veut Sébastien Lecornu, une promesse déjà ressassée par ses prédécesseurs

Le nouveau Premier ministre a demandé à deux hauts fonctionnaires de lui faire des recommandations pour rendre l’Etat plus efficace. Une volonté que Gabriel Attal, Michel Barnier et François Bayrou ont affiché eux aussi, sans résultats.

C’est l’une des premières décisions prises par Sébastien Lecornu. Vendredi 19 septembre, le nouveau Premier ministre a confié une mission à deux hauts fonctionnaires afin de rendre l’Etat plus efficient. L’objectif est de “rendre l’organisation administrative plus lisible, plus simple et plus efficace”, en regroupant, fusionnant “et si besoin” en supprimant “des structures qui font double emploi dans le même champ de politique publique”, selon le communiqué de Matignon. Une annonce qui fait sourire Noam Leandri, magistrat financier et membre du cercle de réflexion Le Sens du service public. “Ce sujet est une arlésienne, voire un serpent de mer, dit-il. On a tendance à dire qu’il y a trop de fonctionnaires ou de structures administratives mais que fait-on pour résoudre cette équation ? On crée une nouvelle structure avec cette mission confiée à des hauts fonctionnaires.” Quatre jours plus tard, le Premier ministre a annoncé qu’il suspendait les nouvelles dépenses de communication de l’Etat jusqu’à fin 2025, une décision qui s’appliquera aux ministères, aux opérateurs et aux agences d’Etat. Il s’agit de la première mesure proposée par ces deux hauts fonctionnaires.

Mais au sein de la classe politique, cette mission ne fait pas l’unanimité. “Je n’ai pas besoin de hauts fonctionnaires pour savoir ce qu’il faut supprimer”, cingle le député Jean-Philippe Tanguy, spécialiste des questions de finances publiques au sein du Rassemblement national. Lors des discussions sur le budget 2025, le groupe présidé par Marine Le Pen avait proposé de supprimer près de 80 opérateurs et agences indépendantes, comme le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou l’Office français de la biodiversité (OFB), comme le rapportait Le Monde.

A l’autre bout de l’échiquier politique, on dénonce au contraire l’idéologie qui sous-tend cette annonce. “C’est toujours dans le droit fil de la loi de simplification de la vie économique et du discours importé de Donald Trump”, critique Eric Coquerel, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Tout cela “au fond affaiblit toutes les missions non régaliennes de l’Etat dans le cadre d’une politique austéritaire et de privatisation”, ajoute l’élu de La France insoumise.

Le socle commun, constitué des Républicains et de l’alliance macroniste entre Renaissance, le MoDem et Horizons, salue au contraire cette annonce. “C’est une bonne chose, assure le député LR Philippe Juvin. Et ce n’est pas parce que nous avons été déçus dans le passé que je ne félicite pas cette initiative.” Il faut dire que la question a régulièrement été mise à l’agenda des prédécesseurs de Sébastien Lecornu, sans qu’elle n’ait pu aboutir, reconnaît-on dans les rangs des députés Ensemble pour la République (EPR).

“La réduction du nombre d’agences et d’organismes est un travail de longue haleine, que les précédents chefs de gouvernement n’ont pas eu le temps de mener à bien.”

Denis Masséglia, député EPR

à franceinfo

“Simplifier pour éviter la gabegie, c’est possible !”, affirmait ainsi, du haut de la tribune de l’Assemblée nationale, Gabriel Attal, lors de son discours de politique générale, le 30 janvier 2024. Le nouveau chef du gouvernement énonçait alors “une nouvelle règle générale simple : tous les organes, tous les organismes, tous les comités et autres, qui ne se sont pas réunis ces douze derniers mois, seront supprimés par règle générale”. Interrogés sur l’application effective de cette règle et ses effets, Matignon et l’entourage de Gabriel Attal se renvoient la balle.  

Neuf mois plus tard, Michel Barnier, reprend le même objectif à son compte. “Nous allons mutualiser et regrouper des agences, des opérateurs et des fonds qui ont des objectifs proches, comme Business France et Atout France”, annonçait-il le 30 octobre devant les députés. Il y ajoutait aussi la fusion de France Stratégie et du Haut-Commissariat au plan. Si cette dernière a bien eu lieu, la première a finalement échoué. L’ex-ministre chargée du Tourisme, Nathalie Delattre, a annoncé qu’il n’y aurait pas de regroupement de ces deux entités, le 30 janvier, dans Le Dauphiné libéré. L’ancien ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, avait aussi identifié à cette époque “plusieurs dizaines” de ces “comités Théodule” dans l’objectif de les supprimer.

Une promesse reprise également par François Bayrou, lors de sa déclaration de politique générale, du 14 janvier 2025. “Est-il nécessaire que plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique ?” lançait-il à la tribune du Palais Bourbon, assurant que les parlementaires seraient “pleinement associés à cet effort de rationalisation”.

Sa ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, avait même frappé fort, en annonçant, fin avril, vouloir réaliser 2 à 3 milliards d’euros d’économies en supprimant ou fusionnant un tiers des opérateurs d’ici 2027, hors universités. Une annonce qui n’a pas été suivie d’effet avec la chute du gouvernement Bayrou le 8 septembre. Surtout, le chiffre avancé par Amélie de Montchalin a été contesté par un rapport du Sénat, issu de la commission d’enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’Etat, rendu public le 1er juillet.

La chambre haute a en effet estimé que réformer le fonctionnement de “l’archipel” d’opérateurs et d’agences de l’Etat, soit 434 opérateurs, 317 organismes consultatifs et 1 153 organismes publics nationaux permettrait d’économiser 540 millions d’euros sur plusieurs années. “Il faut dissocier deux sujets. Le premier, c’est la dispersion des missions de l’Etat. En étant volontariste et avec une meilleure organisation, on pourrait donc dégager plus de 500 millions d’euros, détaille la sénatrice LR Christine Lavarde. Le second sujet, c’est quelle politique publique on supprime ou on réduit pour faire des économies, et là, je n’ai entendu personne faire ce choix.”

“Dès qu’on propose une modification, c’est non. Même des élus qui vous disent qu’il faut rationaliser, si c’est une entité proche d’eux, par exemple localement, ils vous disent qu’il ne faut pas y toucher.”

Christine Lavarde, sénatrice des Républicains

à franceinfo

La sénatrice assure cependant qu’il existerait un “consensus” politique concernant le premier sujet de l’efficience. “Nous avons déjà eu des suppressions au fil de l’eau, mais pas des choses d’ampleur. Tout est déjà écrit, il est temps de passer à l’action”, dit-elle. Une proposition de loi s’inspirant des conclusions du rapport sénatorial est dans les cartons de la droite, qui compte bien inspirer Sébastien Lecornu. Une rencontre est ainsi prévue prochainement avec des conseillers du Premier ministre à ce sujet.

Mais l’instabilité politique n’aide pas pour réformer. “On peut faire preuve de tout le volontarisme du monde, tant qu’il n’y a pas de majorité à l’Assemblée, on ne peut pas mettre en œuvre ces propositions”, remarque Noam Leandri. Or, en la matière, si certaines structures peuvent être réformées par décret – Sébastien Lecornu a déjà annoncé la suppression d’une dizaine d’organismes publics en raison de doublon, comme la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises – d’autres, parmi les plus importantes, sont du domaine de la loi. “Si ces agences ont été créées par la loi, il faut une majorité parlementaire pour les supprimer. Par exemple, l’Ademe est prévue par le Code de l’environnement”, rappelle Noam Leandri, ex-secrétaire général de cette structure qui est régulièrement dans le viseur de la droite et de l’extrême droite.

“Si l’on crée ces structures, c’est qu’on estime qu’il y a un problème, qui n’est pas réglé par l’organisation actuelle. Si le problème disparaît, alors on peut les supprimer, mais s’il persiste, comme la question environnementale ? Ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on règle le problème”, interroge encore Noam Leandri.

“A chaque fois que l’on cherche des économies, on préfère réfléchir en nombre de structures, plutôt que de se référer au périmètre d’intervention.”

Noam Leandri, magistrat financier

à franceinfo

Nul doute que le sujet va être abondamment commenté lors des discussions sur le budget 2026. Les deux hauts fonctionnaires nommés par Sébastien Lecornu sont eux chargés de lui “formuler des recommandations en continu”, selon l’entourage du chef du gouvernement. Reste à voir si le Premier ministre aura le temps de les mettre en œuvre.